Ode à cette pièce, que j'aime, et qui m'aime
Je hume ton parfum à plein nez,
Je m'enivre de ton odeur,
Celle de la littérature, du papier,
Celle du Français, du détergeant,
Cette salle que j'aime et qui m'attend,
Son humeur flegmatique,
Ses murs tout de rose parés,
Habillés d'illustres portraits.
De nos chères têtes cette armoire est ornée,
Ainsi que de ceux qui furent et de ceux qui seront,
Des élèves.
Témoin intangible du temps qui file, file,
Et ne nous attend pas.
A. La fille musique
De grands yeux. Noirs, malicieux. Un regard rieur, auxquels se greffent de longs cils et quelques plis en coin. Une robe pourpre, de velours ou de lin. Un teint blanc, un vrai lys. Un sourire, d'une rougeur d'artifice. Ses lèvres, deux cerises confites. Ses cheveux; courts, noirs. Très noirs, très courts. Toujours.
Cette fille volatile, mystérieuse, intrigante. Cette musicienne, cette pianiste ou guitariste. Cette talentueuse, curieuse, différente.
Le stress, palpable, la salle, fébrile. Un air lent, en dis-synchronie avec le rythme naturel de l'esprit. De la concentration: beaucoup, encore, davantage. Retenir ses doigts qui courent, courent... Un crescendo. Canaliser son enthousiasme, sa passion, son angoisse. Se contrôler.
Une couleur, le rouge; une odeur, ma guitare; un son, celui de mes doigts.
La musique suit, colle, est inhérent à. Où qu'elle aille, quoi qu'elle fasse. Sur son dos, elle est portée. Sa tête en est imprégnée. C'est comme une comptine à sa légèreté.
Abécédaire
Angoisse
"Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?" C.Baudelaire
C'est un mal qui s'épanche de mon sang, taillade ma chair; paralyse mes sens et enserre mon cœur; lacère ma raison et l'éparpille en l'air. Comme une mort lente et croissante, une bête sous-jacente, elle guette son heure. Blottie au sein de chauds tissus, tu gèles mon cerveau où gît, comme en un vaste caveau, tout un fouillis de pourritures, d'affres et de maux. J'attends avec effroi le jour, où, d'un trait infini, cette folie effarera un œil déjà presque évanoui.
En ces blafardes saisons, tes pâles ténèbres m'enveloppent d'un linceul vaporeux, et d'un vague tombeau creusent ce sol limoneux. Cette fosse dont la pierre pluvieuse opprime ma poitrine, accueille mes nuits au sommeil haï. Les bouquets aux fleurs fanées émettent leur ultimes râles, et l'air chargé de ce soupir final, traîne éternellement sa ballade dans le souffle du vent. Que ces hivers trempés de brumes endorment la douleur de ces lambeaux; seuls vestiges de mon triste cerveau.
Thé
Une odeur sucrée vint chatouiller mes narines, l'odeur si singulière de la bergamote et de l'orange sanguine. Tes douces vapeurs m'environnent, et emplissent cette salle placide, d'une apaisante chaleur acide. Les effluves ocres, teintés par la soirée, encensent ma chambre telle un lieu sacré et embuent mes yeux d'un sommeil bienheureux.
Au sachet que je déchire, une réminiscence ne peut que m'envahir. A la merveilleuse exhalaison des senteurs, un verger m’apparaît. Le branchage plie sous le poids de grosses gouttes jaunes qu'il supporte. Une lumière blanche perle sur le feuillage éparse. Quelques rameaux nus s'offrent au soleil qui brûle mes épaules, pareil au thé citronné qui calcine mes lèvres et enflamme la langue aux premières gorgées. L'herbe encore tout humide de la rosée, frissonne à mes pieds. Le soleil me baigne de ses rayons d'argent, et la nature berce ce petit Val abhorré du tourment.
Bleu
Ce bleu, léger ou profond,
Ciel ou marine,
Deux lointains horizons.
Je m'y aventure, je m'y perds,
Bravant l'inconnu d'un cœur téméraire,
Cet océan dans lequel je me noie,
Un puits de passion,
Sujet de rêves et d'illusions.
Mystère
De ton grand front rêveur,
Ton regard, d'un bleu interdit,
De ton sourire charmeur,
Ne peut survenir qu'une irrépressible envie:
Me plonger dans ce bleu secret,
La noblesse de ces traits,
De tes bras lésés,
A la peau diaphane de tes poignets,
De ces cercles froids qui ne font qu'éviter,
Et de cette ivresse qu'est d'en être transpercée.
histoire d'une vie
Perte choquante, inattendue. Une odeur de feuilles ocres, mortes. Puis un feu de bois. Les cendres, déversées dans la Somme. Quelques poussières, tout au plus. Ironique coup de théâtre. J'aurais aimé lui déposer un billet, entre deux pierres, juste quelques mots, à l'encre bleu de Prusse, qui se seraient évanouis avec la pluie automnale. Comme une dernière douce parole, pour remercier. De simples mots, que l'on ne prononce pas assez.
Rennes
Paysage défilant,
Bocages, forêts, divers champs.
Une journée sur la route.
En route vers la côte ouest
En route vers Rennes, Quimper, Brest.
Bâtis en granit,
Couleur rehaussée,
Pierre rosée,
Par le soleil couchant
Sur les marais salants.
Mes narines palpitent
A cette douceur marine.
Chrysanthèmes en mains,
Sous un pin, je vins
Déposer une florale trinité,
De vifs pompons dorés,
Sous l’œil assoupi
Du bronzé crucifix
Patiné par le vent, l'air salin
Surveillant d'un air divin,
Tel un sentinelle,
La demeure éternelle.